mercredi 23 septembre 2009

Episode 105

Sid

La vie de Sid n’est qu’une succession de galères. On ne sait pas comment il fait mais ce garçon un peu gauche, a vraiment la poisse. « Quoi que je fasse ou quoi que je dise, je me met toujours les gens à dos » confiera-t-il à son prof principal. C’est le lot des loosers.
Sid est un gars largué en fait.

Car en fait, ce n’est pas Sid qui joue de malchance, mais plutôt les catastrophes qui viennent à lui parce qu’il ne fait pas attention. D’ailleurs la première scène, celle qui ouvre l’épisode, commence par un prof qui rappelle l’attention de Sid. Alors qu’il est en pleine réunion avec ses parents pour discuter de son avenir scolaire, peu encourageant, Sid est déconcentré par la vision d’un prof et d’une femme de ménage s’offrant un moment de détente. En passant, on peut remarquer que l’épisode débute bien comme d’habitude sur un gros plan des yeux du personnage mis en avant, sauf qu’ici, ils sont ouverts ! D’habitude, on montre le réveil des personnages. Mais ce détail troublant ne révèlera sa signification que bien plus tard. Poursuivons alors le portrait de Sid : globalement, on peut dire qu’il ne se rend pas compte de ce qui se passe réellement autour de lui. L’école, le travail, les notes, pour lui, tout ceci n’est que charabia, le voilà donc contraint de finir une rédaction dans l’urgence pour éviter le redoublement. Ce qui lui vaut d’être sérieusement engueulé par son père.

Dès la première scène, il est présenté comme un « misérable » par son père. Et c’est un peu l’image qu’il renvoie avec ses tee-shirts incroyables, notamment celui avec le chien dont le nez sonore émet un fameux "Mega Dog to rescue ! Attack ! Attack !" lorsqu’on le touche, ou sa chambre complètement en bordel, avec quelques posters de filles nues, ou ses difficultés à écrire deux lignes sur Lech Walesa, préférant envoyer une giclette d’eau sur son hamster avec un pistolet à eau (notez dès à présent que ce pistolet aura énormément d’importance dans cet épisode). Obsédé et frustré sexuellement, car toujours puceau, il se fera même surprendre par Tony en train de se masturber devant une photo de Michelle en maillot de bain ! A la fin, il finira par être passé à tabac par une bande de filles, se retrouvera avec de l’urine d’ivrogne sur lui et s’engueulera à nouveau avec son père. Bref, loin d’être la joie tout ça.

Entre temps, Sid aura l’occasion de découvrir que même son meilleur ami n’est pas celui qu’il croyait. Et c’est au cours de cet épisode que l’intrigue principale commence à prendre du relief. C’est probablement pour cela, qu’il est incontournable dans cette première saison. On en profitera pour en savoir plus sur le personnage de Tony. Et le moindre que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas beau à voir. C’est Sid qui, le premier, se rend compte d’un truc qui cloche. Lui qui l’a toujours suivi aveuglément parce que Tony, c’est quelqu’un « qui sait baratiner » (lorsqu’il l’aide à faire sa rédaction en parlant de l’histoire de l’URSS) ou de « charmant » (dixit la mère de Sid), voire pire un garçon que son père aurait aimé avoir pour fils (« pourquoi tu ne peux pas être comme Tony ? »). Normal que Sid l’érige comme modèle. Surtout lorsque sa petite copine n’est autre que la langoureuse Michelle dont il est raide dingue. Mais cette image va sérieusement s’écorner.

Au départ Tony propose à Sid de laisser tomber son devoir. On pourrait juste se dire qu’il veut que son pote s’amuse, mais Tony ne pense pas aux autres, il pense à lui. Car Tony a un plan. Particulièrement pervers. Il va se mettre en place lentement et subtilement.
Cela commence à l’église, où Tony doit chanter avec sa chorale de filles. Michelle, Sid et Chris sont venus le voir pour finalement découvrir avec stupeur que Tony chante en duo avec une blondasse qu’il finit même par embrasser ! Furieuse, Michelle décide de rendre des comptes et se met à les insulter tous les deux dans les loges, bien que Tony se défende de quoi que ce soit, sous prétexte que ce n’était qu’un show. Par la suite, Tony va alors proposer à Sid d’en profiter pour tenter de la consoler et de la séduire, en somme comme s’il offrait sa copine. La proposition scandalise Sid. Tony semble n'éprouver aucun remord et lui tient un discours des plus étranges. Et c’est là qu’on en apprend plus sur Tony : sa façon de penser est complètement incohérente ! On comprend mieux dès lors pourquoi il était impossible de savoir à quoi pensait Tony dans son centric à lui : Tony n’a aucune morale !
Ses justifications, à base d’atomes dans l’univers, d’énergie, de chances à ne saisir qu’une fois dans sa vie et autres incongruités, plongent Sid dans le désarroi. Pris entre ses principes et son envie de séduire Michelle, il ne sait pas quoi faire, surtout lorsqu’il finit par s’apercevoir que Tony trompe bien Michelle avec l’espèce de blondasse. Car tout était voulu.

Et on comprend que tout ceci était prévu à l’avance. On se remémorre alors comment cela s'est préparé. Notamment lorsque Tony s'est décidé d’inviter Michelle et Sid au concert. Assis sur un banc en train de lire du Nietzsche, Tony ignore Michelle venue le rejoindre pour flirter du regard avec la fameuse blondasse, nommée Abigail, ne l’écoute même pas, puis finit par surprendre Sid en train de fumer sur la pelouse, avant de proposer alors à Michelle de venir le voir chanter et d’en profiter pour mettre sa mini-jupe noire, celle dont Michelle avait dit « qu’elle lui donnait un air de pute ». A ce moment-là, on est loin encore de se douter de la cruauté dont il fera preuve.

Conscient que Michelle est en train de souffrir, Sid se décide d’aller la réconforter. Pour finalement la retrouver dans la rue, sur le chemin du retour, en train d’être prise à partie par une bande de filles, qui se la jouent loubardes, cherchant la noise sous le pretexte d’un certain manque d’égard. Sid aura beau essayer de se dépêtrer de cette situation, il ne finira que par récolter des insultes de la part de Michelle, persuadée que Sid était au courant et qu’il s’est moqué d’elle comme Tony. Et comme si ça ne suffisait pas, le voilà à son tour alpagué par ces mêmes filles. Sid se retrouvera alors à terre, rué de coups, avant qu’un ivrogne ne lui pisse dessus !

Honteux, se sentant minable et voyant bien que tout va de travers, Sid rentrera chez lui, pour se faire immanquablement surprendre par ses parents et se faire à nouveau engueuler. Passablement excédé par tant d’injustice et d’incompréhension, il finira par lâcher à la figure de son père : « tu n’es qu’un pauvre type », remarque qui sera bien sûr la goutte d’eau débordant le vase. Sid sera prié de monter dans sa chambre manu militari. On se prend de pitié pour ce personnage, quelque part attachant par sa maladresse et sa gaucherie, semblant accumuler les déboires ! Et alors qu'on croit que la journée se termine enfin, ça continue ! Il découvre Cassie sur son lit ! Elle qui devait passer le voir, qui avait même pris le soin de ne pas manger de trois jours « pour être jolie », qui est venue l'aider pour son devoir, qui a attendu toute la soirée, la voilà devant lui et on comprend toute sa frustration. Lui demandant des comptes, elle se voit entendre pour excuse que Sid vient de passer la soirée avec Michelle. C’en est trop ! Au cours d’une scène superbe, la voilà qui prend le pistolet à eau, asperge le visage de Sid dans une métaphore des plus explicites, avant de l’embrasser sur la joue et de lui murmurer à l’oreille : « réveille-toi Sid ».

Et là c’est le déclic ! On comprend tout ! Et on réalise à quel point cette série est travaillée !
Car oui, la réponse est là, on devine maintenant pourquoi il arrive tant de mauvais tours à Sid, pourquoi il échoue tant à l’école qu’avec les filles, voire même avec les gens en général, pourquoi il foire tout ce qu’il entreprend : Sid est tout simplement endormi ! Traversant la vie comme dans un rêve, Sid ne fait qu’y être passif. Sid, en refusant de prendre les choses en main, d’assumer ses responsabilités, ne va faire que subir les événements, avec les catastrophes que l’on connaît. Et ce n’est pas étonnant en fin de compte qu’il soit impossible d’ouvrir l’épisode avec le visage de Sid en train de se réveiller ! Cela signifie tout simplement que Sid est en réalité toujours endormi !

Skins, malgré ses faux airs, son second degré, sa tendance à ridiculiser les adultes, dévoile de tant à autre sa noirceur. Petit à petit le drame va s’installer. Et Sid va en être le spectateur impuissant. Jusqu’à aboutir à quelques scènes parmi les plus troublantes que Skins aura montré à l’écran. En effet, le lendemain, Sid se fait déposer à l’école par sa mère, qui lui tient un discours bizarre, le priant de s’occuper de son père et d’être gentil avec lui, ce dialogue laisse poindre quelque chose de plus grave, mais pour le moment, on ne fait que soupçonner les choses sans en être sûr. Juste après, alors qu’il rentre en retard en cours, on se moque de lui pour son cocard de la veille, et même Jal l’engueule pour être allé s’amuser avec Tony au lieu d’accorder le rendez-vous promis avec Cassie. Dans les couloirs, il croise Tony, qui lui demande comment cela s’est passé finalement avec Michelle, prêt à lui donner des conseils en matière de séduction. Perturbé par le comportement de Tony, qui présente sa petit amie comme un cadeau, ou plutôt « une opportunité à saisir », Sid lui fait part de ses doutes, ce sur quoi Tony lui répond une phrase absolument lourde de sens : « on s’en fout de la morale, l’important c’est qu’on ne s’ennuie pas ». Et là, le couperet tombe : que doit vivre Tony dans sa tête pour aboutir à ce genre de conclusions ? Tony est particulièrement perturbé, voire limite un peu flippant et on ignore encore jusqu’où son désir d’expérience le poussera. Quant au pauvre Sid, il prendra son courage à deux mains pour tenter d’obtenir un rendez-vous avec Michelle. Le dialogue sera des plus savoureux. Tout à fait significatif du caractère de Sid : lorsqu’il s’agit de prendre les choses en main, Sid fait tout de travers et ne sait pas comment s’y prendre. Pour être plus juste, en fait, c’est surtout lorsqu’il s’agit pour lui de dire ce qu’il ressent vraiment. Dès qu’il faut pour lui dire ce qu’il ressent, ça bloque, ça coince, et Sid se plante inévitablement. Il aura beau vouloir se détacher de Tony, essayer d’être convaincant et s’expliquer sur ce qu’il s’est réellement passé, Sid sera mis dans le même panier, et se verra envoyé boulé comme un malpropre. Cela aura aussi une autre conséquence : derrière les casiers, se trouvait Cassie qui a tout entendu, surtout les excuses pitoyables envers Michelle, et s'en montre particulièrement vexée.

A ce moment-là, on a alors le droit à un des plus intenses passages de la série, toutes saisons confondues, à tel point que le malaise s’installe. Skins réussit, au-delà d’une superbe esthétique, notamment à l’occasion de ce passage, à distiller un propos assez sombre et désabusé.
Tout d’abord, c’est Cassie qu’on voit dans un snack bar ; devant elle, il y a une assiette avec des frites et un hamburger. Elle hésite d’abord, puis mange avant de finir par se goinfrer. Connaissant les problèmes de Cassie avec l’anorexie, on sait que l’importance et la portée de tout ceci, tant et si bien qu’une scène banale d’une fille qui mange, se dote alors d’une intensité démultipliée. Le message est clair : Cassie n’en a plus rien à faire.
Laissant de côté Cassie à ses affres, on s’attarde à nouveau sur Sid qui malgré tout attend Michelle dans un bar. Celle-ci finit par venir. Sid peut alors s’expliquer et dire qu’il n’était pas au courant de ce qu’avait prévu Tony. Michelle l’embrasse alors sur la joue, lui disant qu’elle « avait oublié qu’il était gentil » à force de le voir toujours traîner avec Tony, avant de lui proposer de danser avec elle, même si elle n’a pas entendu Sid lâcher par inadvertance un « je t’aime », à la fois touchant et pathétique. Dans les bras de la sculpturale Michelle, dont il ose à peine apprécier les formes, Sid ne sait pas comment réagir face à cette fille, qui semble se laisser aller à lui. Mais alors qu’ils se rapprochent, voilà que Tony, qui visiblement avait tout anticipé, débarque à son tour. Face à lui, Sid s’éclipse, et Tony commence à enlacer Michelle, en présentant ses excuses, à peine sincères, mais assorties d’un sourire, et là, on sent le désespoir de Sid, complètement manipulé et qui retourne à la case départ, celle des loosers, dans une totale injustice. Mais ce qui est encore plus pervers, c’est cet étrange ménage à trois, lorsque Tony maintient Sid par le bras pour qu’ils dansent ce slow à trois. Ce mélange des genres et cette promiscuité met mal à l’aise. La série s’étend alors dans des domaines troublant et loin d’être aussi légers qu’il n’y parait.

D’autant que dans le même temps, dans une sorte de crescendo assez saisissant, on voit Cassie sur un banc, le pistolet à eau (toujours le même !) à la main, en train de s’envoyer des médicaments en grosse quantité, avant de s’asperger de l’eau dans la bouche : l’image ne sera que plus équivoque concernant son action ! Elle se met carrément le pistolet dans la bouche… Au final, Cassie de mettra à tournoyer sur le banc et les deux danses finiront par fusionner, à force d'alterner les plans des deux scènes, le tout sous une musique envoutante, sorte de dub langoureux (entre parenthèses, on aura eu le droit à un morceau des Yeah Yeah Yeahs au cours de cet épisode).
Et alors que Sid, déçu du comportement de Tony et de la tournure des événements, qui décidément ne sont jamais à son avantage, se décide enfin à appeler Cassie, il tombe sur Jal, qui se trouve dans une ambulance en train d’accompagner Cassie à l’hôpital et qui se met alors à l’incendier ! Et même lorsqu’il se rend au chevet de la demoiselle, pour constater qu’elle s’en sortira, il est plus ou moins prié d’aller voir ailleurs. « Ce n’est que maintenant que tu t’intéresses à elle ? » lui sortira Jal, particulièrement véhémente. Voilà que Sid se voit reprocher la tentative de suicide de Cassie à force de jouer les idiots et d’ignorer une fille qui voulait juste un rencard avec lui. Ce qui commence à faire beaucoup pour un jeune garçon. A croire que c’est ce qui arrive lorsqu’on se contente de laisser les gens faire. C’est la punition de manquer d’assurance.

Et ce n’est pas fini ! Car un malheur n’arrivant jamais seul, Sid découvre en rentrant chez lui son père en train de déprimer, devant une émission de télé sur des éléphants et des bières vides. Ses parents se séparent et il se retrouve tout seul avec son père ! On saisit mieux, à rebours, la teneur du discours sibyllin de sa mère dans la voiture. Sid choisit ce moment-là pour se réveiller.
Il va commencer à engueuler son propre père et lui dire que tout est de sa faute. Les rôles vont alors s’inverser : c’est son père qui devient le petit garçon. A force les mêmes mots sortent de la bouche de Sid. Mais est-ce bien son père que Sid gronde vraiment ? Les reproches ne pourraient-ils pas s’appliquer à lui-même ? Après tout Sid aussi peut être pris de remords. Jamais il n’a assumé ses responsabilités. Et on rebondit à nouveau sur le thème principal de la série. Chacun des adolescents, à leur manière, doivent se dépêtrer avec leurs responsabilités, malgré les craintes et l’envie de continuer à vivre dans l’insouciance ou la paresse. Pour la première fois, Sid se rebelle et se met en colère. La symbolique est limpide : c’est comme si Sid « tuait son père » et faisait enfin son Œdipe. Car l’emprise de son père était forte. A force de le considérer comme un minable, Sid a finit par y croire ! Pas étonnant qu’avec ce complexe d’infériorité, Sid ait toujours eu du mal à prendre des initiatives. Il a toujours choisit de se laisser aller.
Ici, Sid va agir différemment. De lui-même, sans y être contraint, Sid va passer une nuit blanche dans sa chambre, consulter des bouquins, manger des céréales, et surtout finir sa fameuse rédaction.

Et lorsque Tony tente de l’appeler, pour lui dire qu’il s’est bien marré et que Sid ne doit pas être grognon, Sid jette son portable. Premier signe d’indépendance.

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