lundi 9 novembre 2009

Episode 108


Effy

Cet épisode ne traite pas réellement d’Effy mais plutôt de Tony. Et c’est a priori normal puisque Effy ne parle pas. Les seuls mots qu’elle prononcera surviendront une fois qu’elle sera shootée à mort à l’héroïne pure. Je les restitue dans leur intégralité car ils sont importants :

« Dès fois je me demande si je ne suis pas faite à l’envers. Si ma mère ne m’a pas sortie à l’envers. Dans ma tête, tout est à l’envers. Les mots sont à l’envers. Les gens que j’aime, je les hais, et les gens que je hais, je les…. »

Effy déteste le monde. C’est tellement vivace, tellement ancré dans sa personnalité, elle qui brûle tout ce qui bouge, et qui se réjouit dès lors qu’il est possible de tout détruire, y compris elle-même (il suffit de voir ses tenues vestimentaires, entre style emo et sado-masochisme), que ça en devient un paradigme. Le problème, c’est que Effy est intelligente. Mais cette intelligence la ravage, la pourrit de l’intérieur, elle a une vision tellement cynique du monde, de ses parents, exemples parfaits de la beaufitude, qu’elle souhaite tout faire exploser. Franchir tous les interdits. Il n’y a plus de limite dans la tête d’Effy puisqu’il n’y a plus de valeurs, ni de morales. Les adultes sont pitoyables. Il lui faut donc de l’excitation, de la dangerosité, de l’effronterie.

Cela la conduira à devenir la victime expiatoire d’une terrible vengeance. Car, je le répète, l’objet de cet épisode, c’est Tony.

Il le dit lui-même : « je suis en train de vivre la nuit la plus étrange de toute ma vie ». Et c’est vrai. L’atmosphère de cet épisode sera particulièrement bizarre : inquiétante, anxiogène, glauque. Il faut dire que tout sera tourné en nocturne. Ou bien dans des locaux incongrue comme une rue en dessous d’un pont, un entrepôt, ou un centre sportif, recyclé en lieu pour rave party, avec ses murs peints en couleur fluorescente ou ses lumières rouges, aveuglante et allarmante. Même les endroits usuels seront détournées par les images : la place de Bristol, avec son bassin d’eau qui reflète les néons de la ville, la chambre de Chris avec ses aquariums et ses projections ou la chambre même de Effy, complètement déformée par les bougies et les multiples facettes colorées. La ville de Bristol sera vue au travers un filtre. On sent des influences évoquant Blade Runner, ou certains mangas comme Akira ou Ghost in the Shell. Même la traversée de la ville en voiture sera angoissante, de part la couleur criarde se reflétant sur le pare-brise, et témoignant des zones peu recommandables fréquentées pour chercher Effy.
L’épisode, globalement, sera anxiogène, avec cette ambivalence, ce flou, cette impossibilité de se reposer sur des bases saines. Même en lieu sûr, à la maison, autour de la table familiale, le ton sera particulièrement étrange, avec ce père à côté de la plaque, son couteau électrique à la main déchiquetant des cuisses de poulet en un bruit de succion rebutant. La chambre d’Effy et ses murs de tâches de couleur se transforme en lieu de culte, de rites sataniques, tandis que celle de Tony, avec ses néons d’hôpital se transforme en repère aseptisé, dépourvu de la moindre émotion. D’ailleurs, il n’y aura pas de chaleur dans cet épisode, d’où l’impossibilité de tourner en plein jour.

Cette déformation de la réalité, avec ces chausses trappes, ces faux-semblants, ces personnages d’apparence sympathiques, qui se transforment tout à coup en sociopathes, ces masques, comme celui du gorille qui revient par deux fois, ces pièges, peut se voir aussi comme la transposition des peurs des adolescents. Face au monde adulte, à celui des responsabilités, le monde du dehors, les jeunes s’imaginent des cauchemars, cauchemars qui vont devenir ici réalité. Tony, tout au long de ce qui ressemble à un parcours initiatique, va être confronté aux angoisses les plus existentielles : l’abandon, la baisse d’estime, le poids des responsabilités, la séparation, l’inceste, l’humiliation et enfin, le plus terrible, la mort. Devant ses appréhensions qu’il refoule le plus clair du temps, ou qu’il refuse de voir, Tony, comme sa sœur du reste, adopte un comportement de fuite, de dédain, de moquerie. Là où Effy se réfugie dans l’incommunicabilité et le franchissement de tous les interdits, Tony manipule les gens comme des marionnettes. Tout deux transforme le monde comme il le souhaite. Etant donné que le monde est en soi angoissant, tout deux, vont le modifier selon leur bon vouloir pour le trouver plus rassurant car façonné par eux-même. Se laissant embarquée dans les drogues ou une sexualité permissive, Effy se réfugie dans un monde chimérique, tout en ayant l’impression de garder le contrôle et de provoquer les événements. Même chose pour Tony, qui de par ses belles paroles et son intelligence, va agencer les choses et les gens de telle manière qu’il va s’en satisfaire, en ayant l’impression de là aussi tout contrôler. Tous les deux sont à la recherche de paradis artificiels, le plaisir dans les drogues et le sexe pour Effy, le plaisir dans le sadisme et la manipulation pour Tony. Ce sont des névroses qui sont à l’origine de ces comportements négationnistes. Et notamment une peur incontrôlable d’éprouver des sentiments. Car éprouver de l’attachement, c’est accepter perdre le contrôle et interagir avec les gens.

Celui qui résumera le mieux l’attitude de Tony, ce sera Sid. Sid, son bon copain, mais aussi sa marionnette préféré et consentante. La confrontation aura lieu alors que tout deux sont au rendez-vous fixé par les types avec Effy, adossés sur la voiture du père de Sid, et jetant des regards curieux autour d’eux, zone abandonné et pas très rassurante. Après que Tony ait rabâché son histoire avec Michelle, estimant que Sid a tout fait foiré, ce dernier craque et ose ce qu’il n’a jamais osé faire : se rebeller. Il lui demandera pourquoi ils sont toujours amis. Ce sur quoi, Tony lâchera des mots cruels envers lui. Le dialogue qui suit est saisissant, un des sommets de cette première saison, avec un Tony bluffant d’insensibilité et un Sid pathétique et les larmes aux yeux d’un trop plein de colère refoulée.

- C’est bizarre, hein ? Je fais des trucs qui toi te font flipper, je couche avec des filles, tandis que toi, tu les pousses à faire des tentatives de suicide.

- Arrête…

- Tu es en train de serrer les poings ? Si tu veux me casser la gueule, vas-y, te gêne pas.

- Tu sais que j’ai toujours été en admiration devant toi.

- Oui. Je sais aussi que tu passais tes nuits à te masturber en pensant « quand je serai grand, je serai comme Tony »

- Et aujourd’hui, je prendrai ta place pour rien au monde ! Tu as toujours été égoïste, ça je l’ai vite compris. Tu n’hésitais pas à nous manipuler pour parvenir à tes fins. Ça se tient. Mais là maintenant, tu nous manipules juste pour prendre ton pied. Tu fais des coups de putes à tout le monde et je ne pige pas pourquoi. Tu n’as plus un seul pote, tu n’as plus de meuf et même ta sœur ne répond pas quand tu l’appelles. Tu as raison : elle est maligne Effy.


Tout le nœud de la relation entre Tony et Sid va être cristallisée ici. Car en effet, las du comportement de Tony, exclusivement égoïste, et défensif, Tony ne pouvant pas se livrer (et il faudra attendre la fin de cet épisode, soit le huitième depuis le début, alors que la série s’est pourtant ouverte avec un centric sur ce personnage, pour qu’il se confie enfin), Sid va lui aussi l’abandonner, et concrètement du reste, puisqu’il part avec la voiture. Il en profitera pour enfin aller voir Cassie et lui dire qu’elle lui plaît. Pendant ce temps, Tony sera renvoyé à ses démons : il sera seul. Tony et son succès, Tony et ses amis, Tony et les filles, tout ceci n’a été qu’une illusion. Et cet épisode va en montrer les conséquences.

Mais revenons en arrière. Tout d’abord, Tony va se retrouver abandonné de tous, de ses amis, désireux de faire la fête sans lui, puisque Michelle ne souhaite plus lui parler, il aura beau laisser des messages, même Sid ne daignera pas répondre. Pendant ce temps, parallèlement, Effy fait la fête. Elle investit avec une copine aussi idiote que bavarde, un entrepôt laissé pour la nuit, où elle va en profiter pour utiliser toutes les machines d’entreprise et succomber au charme d’un beau jeune homme. Et lorsque Tony doit rejoindre sa sœur au commissariat, il la voit monter avec des inconnus qui semblent l’avoir kidnappée. Effy, complètement shootée se laisse faire, sans la moindre conscience du danger, dans une attitude complètement passive. Effy croît manipuler tout le monde et n’être atteinte que par peu de choses, mais en réalité, elle s’expose beaucoup trop. Tony, lui, veut lui courir après mais se fait tabasser sur le trottoir. A priori dissociée, les deux histoires semblent se rejoindre, sans que l’on comprenne pourquoi, et là, on commence à avoir peur.
Après des heures et des heures de recherche dans tout Bristol, où Tony fait appel à Sid, il finit par aboutir sous un pont, là où un inconnu lui a donné rendez-vous. L’endroit n’est guère engageant. Et Tony doit suivre un type en scooter qui refuse de lui parler et se contente de lui prêter un casque de moto. Flippant. Il se dirige alors dans un centre sportif laissé vacant pour la soirée mais squatté par une bande de jeunes, faisant une rave partie. Celle-ci est des plus étranges, il y a du monde dans toutes les pièces, s’embrassant, faisant l’amour, dansant, se droguant, des gens dont on ne sait d’où ils sortent. Au grès des déambulations dans une ambiance des plus glauques, avec ces néons et ces lumières de discothèques, Tony entre dans une salle de billard. Là, il retrouve le frère d’Abigaïl, qu’il avait humilié précédemment, et qui l’attendait justement pour se venger. Avant d’appeler l’hôpital pour soigner Effy, tombée dans les pommes depuis une dose fatale d’héroïne, il propose un marché à Tony : coucher avec sa propre sœur. En pleur, dépouillé, au sol et rué de coups dans les côtes, Tony s’avouera vaincu. On le retrouve quelque temps plus tard, en caleçon, couvert d’ecchymoses, perdu, titubant dans la nuit et le noir, portant sa sœur dans les bras. A l’hôpital, il veillera sur sa sœur, qui s’en remettra d’après le médecin, accablé du poids de la culpabilité et de la peur de la perdre. Ses parents ne manqueront pas de le juger responsable de la perte d’innocence de la petite Effy.

Ce n’est que là, qu’après s’être heurté à la réalité de la vie d’adulte que Tony va commencer à prendre du recul. Au cours d’une scène touchante, où il est assis avec Sid qui lui apporte un coca, il avouera ne pas se sentir bien dans sa tête. Le réconfort apporté par Sid, sa placidité, est une belle preuve d’amitié, malgré tout ce que s’est pris dans la gueule le pauvre Sid. Ce dernier, au service de Tony, a même dû interrompre son premier baiser avec Cassie. Tony se rend compte qu’il fait des choses méchantes tout simplement parce que ça l’amuse. Mais ce comportement puéril et vicieux entraîne fatalement la perte des gens qui lui sont précieux, ses « choses » comme il les appelle, ces personnes qui l’aiment comme il est et non pas en fonction des manigances et du bagouts qu’il possède, des gens comme Effy ou Sid, qui restent à ses côtés coûte que coûte. Se séparer d’eux ou continuer égoïstement, il faut choisir : Tony comprend que la responsabilité naît à partir du moment où l’on est plus tout seul. Et le monde adulte, c’est ça : ne plus être tout seul.