dimanche 13 septembre 2009

Episode 104



Chris

Allons droit au but, ce centric sur Chris est un des meilleurs épisodes de cette première saison.
Ce qui épate avec ce quatrième numéro, c’est la pudeur avec laquelle est abordée l’histoire familiale de Chris. La retenue dans le fond contraste avec l'exagération des images, ce qui renforce davantage les séquences d'émotions, car il faut prévenir, il y en a dans cet épisode. Les tenants et aboutissants ne sont abordés qu’avec parcimonie, par petites touches, suggérant plus que dévoilant, le drame qui se cache derrière tout ça. Chris, qui de par sa nature, ne peut montrer cette facette de lui-même (il ne le fera qu’à la toute fin de l’épisode et précisera bien à Jal, sa seule confidente, de « ne pas en parler aux autres »), devient alors extrêmement attachant. Attachant car il se débat avec l’injustice de son sort. Ce qui pourrait alors passer pour de la stupidité ou de l’insouciance, devient alors un refuge. De toutes manières, Chris n’a fait que fuir.

Alors on pourrait dire qu’il ne fait que fuir ses responsabilités, et ce serait vrai quelque part, et il est en ce sens normal de le montrer courir dans le cimetière lorsque la situation atteint son paroxysme, mais si on voulait être plus exact, on dirait que Chris ne fait que fuir en fait la tragédie qui est la sienne. Pour l’instant, on n’en sait pas trop à propos de ça. On en apprendra plus lors de la deuxième saison, ce qui démontre au passage, l’extrême minutie apportée par les créateurs à propos de la cohérence psychologique des personnages. Chris a peur.
Pour éviter d’aborder cela : devenir adulte, assumer ses actes, gérer des états, Chris va tout nier, occulter les choses et se gaver de pilules.

Dans la tête de Chris, c’est plutôt brouillé, ce qui l’empêche de voir très très loin, ce qui le pousse à dépenser une importante somme d’argent sans penser aux conséquences, et cela possède aussi le don de former un écran de fumée pour taire l’angoisse de sa situation. Etre seul, être abandonné, être rejeté de tous, voilà ce qui préoccupe Chris, et cela on ne le fait que le découvrir petit à petit tout au long de l’épisode, basé sur une sorte de crescendo incroyable.
Car cet épisode sensé partir sous forme de crescendo va flirter avec un ton tragi-comique tout du long, ce qui masque un peu la montée dans l’intensité, pourtant bien présente.

L’épisode débute, comme d’habitude, sur une vue de Chris en train de se réveiller, sauf qu’au premier plan, figue l’aquarium de sa chambre, ce qui rend l’image floue. En réalité, c’est une métaphore : c’est l’esprit de Chris qui est floue, brouillée par tous ces médocs qu’il s’enfile par poignée et dont il collectionne les boites en les punaisant au mur de sa chambre (son mur entier est recouvert, pour un plan stupéfiant). Car Chris essaye tout et n’importe quoi, parfois sans réfléchir, pour s’amuser, pour le fun.
On le découvre ainsi dans une scène hilarante dans la salle de bain, tenter de gérer son pénis en érection continuelle à cause d’une trop grande quantité de pilules bleues, pour finalement se retrouver à pisser en l’air comme une fontaine !

Mais bien vite, on déchante : Chris découvre que sa mère est partie quelques jours et qu’elle lui a laissé une sacré liasse de billets. Ce qui peut paraître une chance – ses amis tentent de le convaincre de tout dépenser – met en exergue un certain malaise. Car il faut se rendre à l’évidence, Chris est livré à un lui-même alors qu’il n’est qu’un ado. Mais personne n’en fera la remarque, car ce sont des jeunes, et les jeunes ne se préoccupent que peu de ce genre de choses, ces choses qui regardent les adultes, et donc les motivations sont trop tristes et sordides pour qu’on s’y intéresse. C’est cette façon de ne jamais abordé le fond du problème qui rend cet épisode superbement subtil et bien mené. Se superposant du reste à la façon dont Chris, lui aussi, gère la situation. Encore une fois, Skins prouve sa haute tenue, en réussissant à caller son style sur la personnalité du personnage mis en vedette.

Pendant ce temps, l’épisode s’accordera quelques pauses pour croquer la personnalité délicieusement naïve d’Anwar ou Maxxie, ou pour tisser avec patience l’intrigue amoureuse entre Tony et Michelle ainsi qu’entre Sid et Cassie, parfois les deux s’entremêlant. Tandis que Sid rame pitoyablement à draguer une fille bourrée à moitié dans le coma éthylique, on surprendra les premiers signes négatifs à propos de Tony. Au lieu de flatter sa copine, préoccupée par son physique, il en profitera pour glisser une bien mauvaise blague, ce qui donnera l’occasion à Michelle de tenter de le rendre jaloux en demandant à Sid ce qu’il pense de ses seins. Mais au lieu de s’énerver, Tony prendra les choses à la rigolade, savourant de voir son meilleur ami s’enfoncer et se couvrir d’embarras, ce que Michelle n’appréciera guère, elle qui aurait aimé que Tony la regarde mieux. Seulement, et le problème est là, Michelle se fait facilement avoir, un petit bisou de Tony et elle lui pardonne bien vite, sans que celui-ci ne s’excuse de son comportement !
Quant à Sid, le malheureux, déboussolé de ne pas avoir osé dire franchement ce qu’il pensait des seins de la fille dont il est amoureux, accessoirement aussi la petite amie de son meilleur pote, il ira s’épancher auprès de Cassie. Si seulement il savait ! Mais Sid ne regarde même pas Cassie, et il faudra qu’à la fin de l’épisode, elle lui demande carrément de sortir avec elle, qu’il accepte, non sans être là aussi embarrassé. Là encore, le don de Skins est de faire développer l’intrigue avec parcimonie, et ce jeu amoureux est loin encore d’atteindre toute sa mesure.

Mais revenons à Chris. Connaissant le garçon, rien de plus normal que de voir qu’il a choisit de claquer tout son fric pour organiser la plus grande soirée jamais organisée. Les cachets coulent à flot, ça danse de partout, Chris ne sait plus où donner de la tête, et d’ailleurs, c’est à peine s’il connaît la moitié des invités. Pour lui, et l’image trafiquée, le montage stroboscopique, la musique dansante l’attestent, cette fête sera une occasion de s’oublier un peu, de laisser les soucis de côté et de vivre crânement son insouciance. Quitte à faire fuir sa prof Angie (l’attrait d’une prof pour un jeune comme Chris parait tout simplement incroyable, et fausse dès lors la crédibilité de l’histoire, mais passons, ce n’est pas ici le propos) à force de bander lors d’un slow ! Au final, quand bien même la fiesta était énormissime, la gueule de bois finit toujours par arriver. Et Chris va payer très cher son penchant pour l’hédonisme.
Alors qu’il doit chercher de la monnaie pour les pizzas, Chris monte dans la chambre de sa mère et finit par découvrir que celle-ci est vide et que sa mère a vidé tout le placard. Cette scène, très touchante, est remarquablement filmée : Chris ne dit rien, il n’y a pas un seul mot de dit, rien qui pourrait expliquer la situation, tout se dévoile par quelques images. D’abord un tiroir vide, puis deux, puis trois. Pour l’instant on ne voit rien venir. Puis Chris, qui commence à comprendre qu’il se passe quelque chose, va ouvrir la penderie pour la découvrir vide à son tour, et là, il réalise tout, comme nous du reste, et c’est le choc : la mère de Chris a tout simplement abandonné son fils. La réaction de Chris est simple et touchante. Il va dès lors rentrer dans le placard, s’y recroqueviller, se blinder en position quasi-fœtale et ne plus bouger jusqu’à ce que ses potes débarquent à leur tour dans la chambre.
Là encore, c’est une réaction de fuite, et on saisit les travers de Chris, dès lors qu’il est placé devant une situation anxiogène, qu’il doit faire face seul, alors Chris panique et se réfugie dans une bulle. Quelle soit de nature physique ou psychotrope.

Progressivement Chris va s’enfoncer. Alors qu’on pensait qu’il avait touché le fond, les choses ne vont que s’empirer. Et l’originalité de Skins est d’opter pour un ton presque humoristique. On aura le droit alors de goûter à quelques scènes comiques, sans savoir si nos sourires sont légitimes. A la limite, on s’en sentira presque coupable.
Après avoir essayé de revendre pitoyablement sa chaîne Hi-Fi, pour réparer le fait d’avoir dépenser l’argent laissé par sa mère en deux temps, trois mouvements, Chris rechute et finalement s’achète à nouveau des pilules. Le lendemain de sa nuit de trip, il se rend à la salle de bain, traversant les pièces de sa maison, couverte de tags et dans un état indescriptible, quasi-bousillées à force de soirées et de squat par les uns et les autres, puis il se décide à prendre une douche. Soudain il découvre dans la baignoire un squatteur ! L’incompréhension est totale et donne lieu à un dialogue des plus truculent ! Chris a beau expliquer être chez lui, l’énergumène rétorque ne pas apprécier son agressivité et le fout à la porte de sa propre maison, à poil qui plus est, afin de rétablir « les bonnes ondes » qu’il sentait menacées !
A la rue, tout nu, Chris se réfugie dans son lycée, auprès d’Angie, qui peine à l’aider, de même pour ses amis, venus lui apporter des fringues et lui annoncer qu’il est la nouvelle gloire de l’établissement pour avoir osé traverser la cour les fesses à l’air. Notons au passage (comme Skins le fera de temps à autre) une nouvelle preuve de l’incapacité de Tony à se montrer empathique. Au lieu de réconforter son ami qui a tout perdu, il l’invectivera de ne pas chialer comme un gosse.

C’est Jal qui se montrera la plus magnanime. Prenant les choses en main, elle l’emmènera visiter son père, dont on ignorait jusqu’à présent l’existence. On se retrouve alors devant la propriété du père de Chris, qui a refait sa vie depuis longtemps, avec une nouvelle épouse et un nouveau bébé. Sa belle-mère prétexte alors être ravie de l’accueillir, ainsi que Jal, mais on sent bien qu’elle est terriblement génée. Mais le plus géné, c’est certainement Chris, complètement mal à l’aise à l’idée de revoir son père. Finit l’adolescent fougueux qui brave les interdits et qui n’a pas peur de violer les règles au nom du fun, on retrouve ici un tout petit garçon intimidé et gauche, ce qui se voit à la façon de se trémousser dans tous les sens.
Alors que son père débarque du boulot, on surprend une discussion rude où l’on apprend qu’il ne souhaite absolument pas croiser son fils, qu’il considère comme un misérable, tout comme sa mère. Evidément Chris entend tout à travers la cloison. Mais il ne se rebelle pas, il encaisse tout et on sent que cela le perturbe. Au travers de cette réaction, on comprend mieux le caractère de Chris. Et surtout son incapacité à se fixer des repères. Chris n’a jamais été qu’abandonné de toute part : par sa mère, par son père, bref par tout le monde. Impossible de prendre confiance en soi.

Et c’est là qu’on touche au fond du problème : Chris n’a pas confiance en lui. D’ailleurs, c’est probablement le point commun de tous ces personnages de Skins, en opposition à Tony, qui lui dégage trop d’assurance et qui va donc progressivement se mettre hors jeu de cette bande. Et c’est là qu’on peut souligner la cohérence de Skins, car tous ces jeunes, bien différents, partagent pourtant leur lot d’angoisse et de fragilité. Et Chris, comme les autres, est tout aussi fragile. On a beau faire le malin, avaler des pilules et faire la fête, on n’en demeure pas moins fragile. Surtout face aux réalités du monde adulte. C'est-à-dire celui des responsabilités. On en revient finalement au thème primordial. Car comment Chris peut-il prendre ses responsabilités lorsque d’une part sa mère fait des crises ponctuelles et part de la maison, et que lorsque d’autre part son père tire un trait sur sa précédente famille ?
Tout cela est fatalement mis en exergue lorsque Chris prend le bébé dans ses bras pour tenter de le calmer, réalise ce qu’il est en train de faire, et finit par le laisser tomber ! Cette scène marquante, dont on ne sait absolument pas sur quel pied danser, cristallisera toute la psychologie de Chris : Chris ne se sent pas prêt tout simplement. Pas prêt à être adulte. Ou alors il n’en a pas envie, au choix. La question fondamentale étant celle-ci : être jeune nous autorise-t-il à se défausser ?

Toujours est-il qu’il va se mettre à fuir. Fuir la réalité en se sauvant de la maison, sans demander son reste, courir dans les rues, poursuivi par Jal, jusqu’à atteindre la cimetière. Ici, et uniquement ici, Chris va faire une pause et se livrer. Soutenu par Jal, le plan se resserre sur son visage et la caméra va oser enfin se fixer pendant longtemps sur Chris, pour une confidence stupéfiante de finesse et d’émotion. Chris raconte alors à Jal le meilleur jour de sa vie. C’était à l’époque où il était chez les louveteaux, et tout le monde s’était moqué de lui parce qu’il s’était fait dessus. Mais son frère – car on découvre presque par accident que Chris avait un frère – est intervenu, lui a séché les larmes, l’a nettoyé, prêter son propre slip puis est ressorti sans que quiconque ose le défier. Aujourd’hui son frère est mort, Chris est assis sur sa tombe, et découvre par la même occasion que sa mère est toujours dans les parages car elle a laissé un bouquet de fleur, et on mesure presque avec effarement que l’environnement familial de Chris est beaucoup plus complexe que ce que cet épisode a bien voulu montrer !

De la même manière que Chris, dans sa chambre d’étudiant, gracieusement prêté par son lycée pour le prendre en charge, va initier son futur mur avec la boite de nouveaux médicaments, son histoire et surtout la façon d’aborder pour lui le monde adulte, est loin d’être encore finie !

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