dimanche 24 janvier 2010

Episode 201



Tony et Maxxie

Skins a le mérite génial de détruire tout ce qu’il a construit.

A commencer par le personnage de Tony, comme en témoigne cet épisode, passé à l’état de légume, diminué par une commotion cérébrale. Le contraste est si saisissant avec ce qu’on connaissait de la première saison, qu’on se demande comment la série va s’en sortir avec ce nouveau canevas. Et de jubiler à l’avance. Skins démonte ses propres idoles.
On prend les mêmes et on recommence, dit l’adage. Sauf qu’ici, on ne prend pas exactement les mêmes mais on recommence. Jolie pied de nez. Lançant le ton de la saison entière, qui se voudra plus dramatique, plus méchante, plus authentique encore, plus désespérée aussi, cet épisode jouera avec les attentes du public, pour en prendre sans cette le contre-pied, se placer à revers, en léger décalage, juste ce qu’il faut pour déstabiliser et surtout jouer sur les émotions. Car maintenant qu’on est attaché à ces adolescents, qu’on les connaît, qu’on a dessiné leurs personnalités, on peut dès lors s’amuser à aller plus loin, à déconstruire, pour reconstruire par-dessus.

Du reste, cet épisode affine la définition de l’adolescence. Après une première saison qui en tirait des traits grossiers : hédonisme, refus de voir la réalité, affranchissement des contraintes, affirmation de soi, la deuxième saison va briser menu toutes les espérances. Car l’adolescence ce n’est pas cet assemblage de clichés libertaires. C’est avant tout être capable de voir la réalité, d’accepter ses contraintes et surtout sa fatalité, pour en assumer toutes les responsabilités. Et c’est ça qui va être dur.

Ce sont d’ailleurs, une fois n’est pas coutume, les parents qui vont donner la meilleure définition de l’adolescence. C’est suffisamment rare pour le souligner, mais ici les adultes ne seront pas caricaturés comme opposition grotesque aux enfants. On les voit plutôt ici avec leurs propres névroses, complètement dépassés par la tournure des événements. Et lorsque le père de Tony, accablé par l’état de Tony, devenu jeune larvaire impotent suite à son accident, s’en va rejoindre le père de Maxxie, pour une discussion autour d’un wisky, celui-ci s’épanche et avoue son impuissance. Aux travers de sa confession, on en apprend plus sur ce que c’est qu’être adolescent : « je ne le reconnais plus ».

L'épisode s’ouvre sur une vue d’église et de vitrail, avec un orgue en fond sonore, ce qui fait penser à des funérailles, et donc que Tony est mort suite à son accident. Au lieu de ça, on assiste à une répétition de danse avec Maxxie et ses amis, sur fond d’électro-dumb. Une ode à la vie en sorte. Totalement mal venue avec le contexte. Comme si on se moquait du malheur.
Tony est bien là du reste, hagard, inexpressif, à regarder ses amis, sauf qu’il n’a pas d’avis, il est comme parti, c’est encore pire que la mort, ce n’est plus le Tony qu’on connaissait. Il marche voûté, il a peur de tout, surtout des bus, on dirait un enfant craintif, il le regard dans le vague, il faut lui découper sa viande, des petites filles le traitent de débiles, il ne souvient plus de rien.
Le voir dans cet état est bouleversant, il y tant de disparité avec celui qu’on connaissait auparavant manipulateur et séducteur, presque tenant le monde entre ses mains. Seulement la réalité l’a rattrapé, et brutalement du reste, lui ôtant toutes ses capacités. Le parallèle est intéressant entre Tony et Maxxie, l’un voit ses rêves brisés à cause de son accident, l’autre veut les faire aboutir. Tandis que Maxxie danse sur le terre plein de sa cité HLM, avec une totale maîtrise de son corps, Tony galère à tenir un stylo pour signer son entrée au lycée.

L’ensemble vire au tragique, et il faut avoir le cœur bien accroché pour aborder tout l’abattement qu’entraîne cette situation. Il suffit de voir la mère de Tony désespérée devant les installations et le système d’alarme dans les toilettes, bassesse absolue démontrant avec une crudité acide le manque d’indépendance de Tony, autrefois notion même de l’indépendance. Est-ce là à voir un parallèle avec la définition de l’adolescence ? Après tout la jeunesse n’est qu’une aspiration à s’affranchir, se croire capable de tout, selon ses propres volontés, mais la réalité rattrape toujours les choses, et finalement Tony ne fera pas ce qu’il veut, car on ne peut pas faire ce qu’on veut. Ce qui génère une frustration incroyable. Une colère qui s’exprime face aux contraintes. Comme si on était bâillonné. Tony se sent exclue à ne pas pouvoir sortir faire la fête avec ses amis, même Chris et Jal n’ose pas s’approcher trop près de lui à l’abri de bus, de peur d’être contaminé, comme si Tony leur rappelait avec trop d’âpreté que la vie ne tient qu’à un fil et qu’on peut être rattrapé par la misère plus vite qu’on ne le pense, le père de Tony finit même par s’énerver, Tony lui-même s’énerve, il en pleure, il se roule par terre, il doit être réconforté par ses parents, cette scène est insolente de pathos.

Cette tension est palpable de bout en bout, mais il y a malgré tout un humour sous-jacent : Effy s’amuse avec les installations de toilettes, découvrant que le jet d’eau peut lui faire beaucoup de bien, la mère de Tony raconte une blague cochonne mais Tony rigole à une autre blague sortie par Chris quelques minutes auparavant, en pure décalage ce qui mettre toute la famille mal à l’aise, Anwar se transformera en assemblage ridicule de clichés sur le monde du rap, à l’opposé de la sobriété de Tony. Ce qui donnera lieu à un ton très grinçant, du détachement et un cynisme des plus savoureux. Voire même du second degré : lorsque Tony sortira avec sa sœur, maquillée et vêtue comme une emo sexy et au style ravageur, il lui dira « tu n'es qu'une jeune fille », quant à elle, elle répliquera : « et toi, tu es barge ». Ces termes finalement ne sont pas si antinomiques, en s’additionnant (« jeune » et « barge »), ils formuleront la définition de l’adolescence.

La situation n’est d’ailleurs pas des plus joyeuses pour tout le monde : Sid n’ose toujours pas voir son meilleur ami, traumatisé par son accident, il l’évite soigneusement, préférant rester dans sa chambre et filtrer ses appels, se languissant de Cassie, qui elle, visiblement s’amuse en Ecosse en compagnie de garçons. Quant à Michelle, elle ne s’en remet toujours pas, elle qui avait cru à l’amour de Tony et qui voit son couple se briser, préférant alors noyer son chagrin en se prenant des cuites et en sortant avec tous les mecs de passage. On est loin de l’image glamour de l’adolescence, tel qu’on peut la rêver. Ici, les adolescents seront perdus, agressifs, à l’image de ces jeunes voyous homophobes harcelant Maxxie, désappointés et la recherche d’évasion ne sera plus vécu comme un idéal mais comme un palliatif. Michelle se torchera à la vodka par dépit, Sid carburera à l’ecstasy pour oublier. En fait une sorte de menace planera aux environs de ces jeunes. Menace indicible, invisible même, mais bien présente. Cette crainte sera symbolisée de manière superbement subtile et trompeuse par quelques flashs photo apparaissant au loin, d’une des nombreuses fenêtres des immeubles HLM de la cité où vit Maxxie. On ne sait pas qui prend les photos, ou bien même s’il s’agit de prises de vue de Maxxie, ni qui est derrière tout ça, mais l’angoisse survient malgré tout.
Même les fêtes géantes, habituellement refuge et palliatif à cette angoisse, ici rave party improbable dans une demeure abandonnée en pleine forêt, ôtera ses attraits pour devenir le lieu d’une oppression de tous les instants. Le trip de Sid, kaléidoscopique, sera tournoyant, à en faire mal à la tête, les lasers seront irritants, la réalité s’échappera pour un mix de tortures et autres violences. Lorsque Tony voudra se joindre à la fête, il en subira les pires effets, bousculé, écrasé, souffrant d’une ochlophobie croissante, criant qu’on vienne le sauver, qu’on l’extirpe de là.

A la sortie, dans le parc, tandis que les spots lumineux et les lanternes éclaireront les branchages et que quelques jeunes discuteront autour de leur gobelet en plastique, Michelle viendra se retirer, probablement honteuse d’elle-même, ou en tout cas gêné par le regard réprobateur de Sid lorsqu’elle se laissait enlacer par deux garçons. Ce dernier vient d’ailleurs la rejoindre pour lui demander des comptes. Autrefois amis, souriant, s’envoyant des vannes, l’innocence sera dissolue, et on aura le droit à un dialogue, amer, acide, adulte en somme. Cette scène est une des meilleures de l’épisode, et elle lance le ton de la nouvelle saison à venir : plus ambiguë, moins évidente, plus laborieuse. Michelle avoue éviter Sid pour la simple et bonne raison qu’il lui rappelle trop Tony. « A chaque fois que je te vois, je le vois lui » reconnaît-elle. Confession ingrate du point de vue de Sid, lui qui a passé tout son été à venir au chevet de Tony, à l’hôpital, suivant l’évolution de sa santé, espérant son rétablissement. Mais agir de manière responsable n’est pas si évident que ça pour un jeune de l’âge de Sid, qui a encore tant de choses à régler, d’ailleurs dès que Tony sera remis sur pied, le revoir, affronté ses facultés amoindries, sa personnalité réduite, sa perte de mémoire, sera beaucoup trop dur. Alors Sid agira en lâche et fera tout pour l’éviter, malgré les suplices de Tony, le quémandant toujours. Comme quoi, la maturé ne s’acquiert pas aussi rapidement. Lorsque Tony surprendra cette petite discussion au pied des arbres, silencieux, tranquille, le malaise sera criant. Tony a-t-il compris de quoi il s’agissait ? A priori oui, vu la phrase qu’il lâche avec une expression stupéfiante au regard de la détresse qui doit l’habiter en son for intérieur : « un jour je me souviendrai de tout ».

Un peu comme si à ce moment là, Tony pourrait alors devenir lui-même, enfin devenir un adulte. L’adolescence, finalement, période de transition, semble être une zone de turbulence, où l’individu se détache de sa personnalité, se cherche, tâtonne, essaye, avant de s’ajuster, de faire coïncider plusieurs pans, et se tracer droit. Cette quête d’identité, trame principale de la série Skins, servira de fond pour les scénarios à venir. Et il est donc logique de terminer l’épisode sur Tony cherchant à écrire son nom : autrefois zigzaguant, brouillon, comme indéfini, avec effort et instinct (comme le dit Maxxie), le tracé deviendra régulier, symbole d’identité. La crise adolescente, c’est ça, c’est l’envie de Tony d’écrire son nom sur un papier, s’affirmer en tant que soi.