lundi 7 décembre 2009

Episode 109


Everyone

C’est arrivé tellement vite qu’on a l’impression qu’il ne s’est rien passé. Et pourtant, il semblerait bien qu’il y ait eu un clash. Pendant une fraction de seconde, on aperçoit une masse verte lancée à toute vitesse mais la vision est trop fugace. On se retrouve avec toujours ce même plan. Sauf que Tony a disparu. Et on entend au-delà du champ ce bruit affreux d’un freinage qui survient trop tard. On fait le lien. On réalise toute l’horreur mais avec ce bizarre sentiment d’irréalité. Car l’action survient au-delà de la caméra. Comme si rien ne pouvait être réel lorsque ce n’était pas montré.
Le trouble est encore plus criant lorsque l’horreur est suggérée par les hurlements d’Effy qu’on entend au travers le téléphone de Michelle, assise aux toilettes et troublée par cette action qu’elle ne voit pas mais devine à peine. Car la fatalité de l’accident a du mal à être saisie dans son caractère tangible. On a tendance à l’occulter. Comme cet épisode le fait en évitant soigneusement de montrer le résultat. L’action file à toute allure. Trop pour qu’on puisse y accorder de l’importance.

Cela ne veut pas dire que la fatalité n’est pas là. Au contraire, elle possède toujours son imprévisibilité et sa tendance à briser des destins. Elle rode. Mais le propre de l’existence est de faire semblant de ne pas y croire. D’esquiver les échéances et les coups du sort. En soi, l’adolescence, c’est ça. On prend conscience de notre mortalité. Cette fragilité doit être compensé par une action toujours plus vive et une insouciance plus poussée. Comme un défi. Mais la réalité rattrape toujours les gens, comme elle a rattrapé Tony.

Pourtant, tant que ça n’arrive pas, on n’y croit pas. On pense à autre chose. On pense que rien ne changera. L’esprit adolescent, c’est le prolongement, le rendu infini des choses futiles. Tony prend son portable, il appelle Michelle, il lui avoue son attachement, il lui dit tout ce qu’elle a voulu entendre, pardon, tout ce que nous, on a voulu entendre, il se déplace sur la route parce qu’il n’a pas assez de réseaux, Michelle pleure de joie, on se dit qu’ils vont se remettre ensemble car finalement leur couple est plus fort que tout, l’adolescent, c’est ça, c’est l’immortalité de la jeunesse, la préservation de la rébellion, on entend bien le bus arriver, mais on ne le voit pas, alors on y prête pas attention, on a l’impression qu’il n’existe pas, mais il est bien là et la seconde d’après, Tony est valdingué violement et sort du champs de manière si brutale que ça en est choquant. Traumatisant presque. Et vaguement cynique.

Car le génie de Skins, le génie de cet épisode final qui a passé tout son temps a jouer avec les chassés croisés de manière à résoudre les intrigues qui s’étaient instaurées au cours de la saison (Chris et Angie, Sid et Cassie, Maxxie et Anwar, Tony et Michelle), est de briser menue toute idée de happy end. Alors qu’on pensait que tout allait plus ou moins s’arranger, malgré les vicissitudes, car l’adolescence, c’est cela, tout s’arrange, voilà que tout est bouleversé par la stupidité. Car il n’y a rien de plus stupide. Et en même temps, cela nous renvoie à notre propre existence : nous ne sommes que stupide. Rien n’a de sens puisque tout peut se déconstruire sans raison. En quoi peut-on trouver de la motivation si le couperet peut tomber avant tout aboutissement ?

Cette question cruciale est au cœur du mal-être adolescent. En somme doit-on s’investir si tout n’est qu’absurdité ?
Il est donc tout à fait normal de retrouver alors Sid qui se lance à cœur perdu vers sa réalisation. Cette décision – rejoindre et retrouver Cassie avant que celle-ci ne parte en Ecosse – va donc s’accompagner d’une parcours dans Bristol, à pied, en bus, jusqu’à la rejoindre sur un banc.
On bascule pour cette scène dans une fin de partie absolument extraordinaire car véritablement étrange !
Alors qu’on a à peine de réaliser que Tony a eu un grave accident qui remet tout en cause, voilà qu’on enchaîne avec Sid aux toilettes, rejoints par deux inconnus aux pissotières, et soudain, ils se mettent à chanter les paroles de « Wild World » de Cat Stevens.

Les dernières minutes de ce final seront époustouflantes d’émotions. On voit Sid progresser dans les rues ou les collines de Bristol, sortant du lieu où était célébré l’anniversaire de Anwar pour monter dans un bus et retrouver Cassie, le tout dans une nuit qui se termine progressivement. Alors que la brutalité de l’accident de Tony chamboule encore les têtes, on atterrit dans des actions hors contexte, floue, comme étanche à la réalité, exactement comme ce qu’il se passe dans la tête des adolescents : un refus de voir les choses, les responsabilité à prendre, et n’agir, ne progresser que vers l’avant, en occultant le reste, pour ne privilégier que ce qui prime : l’attachement.

Les paroles seront chantées successivement par les acteurs de la série, de manière ahurissante et étonnante, mais poignante d’authenticité. La vie dans Skins, ce n’est pas que des bons sentiments, la victoire du bon, c’est un entre deux eaux, de la subtilité et un cynisme percutant et trash. On voit Chris, triste mais victorieux, obsédé par Angie, dont la névrose lui échappe, et rentre en contradiction avec ces chimères d’adolescent et sa propension naïve à croire que tout s’arrange du moment qu’on le veut. On voit Michelle s’attarder sur son portable et ne rien comprendre. On voit Effy pleurer et Tony, le sang à la bouche, continuer à chanter, comme si ce qu’il lui était arrivé n’était pas réel. On voit surtout Sid déambuler avec détermination, ignorant ce qu’il se passe autour de lui, prendre le bus, ce qui fait le parallèle avec l’accident de Tony, bravant de manière métaphorique tous les dangers, grimper une butte pour s’asseoir sur un banc avec Cassie, tout en chant les paroles de Cat Steven avec vigueur et une sincérité qui pince le cœur. Tout bonnement magnifique.

Retrouver Cassie sera vécu par Sid comme l’unique moyen de trouver un sens aux choses : ne pas se sentir seul, créer une connexion, seule parade à l’absurdité du monde. Il est donc tout à fait normal, lorsque tout à coup, la chanson s’arrête, que les deux jeunes se prennent la main et se disent « salut ».