vendredi 11 septembre 2009

Episode 103



Jal

L’épisode débute par une classique scène, au cours de laquelle un orchestre de lycéen joue. Cette dernière peut paraître anodine mais en fait, en cherchant bien et en décodant certains procédés stylistiques, on aboutit à un beau résumé de la personnalité de Jal, rien qu’en la voyant jouer de la clarinette.

Tout d’abord, et alors que cela rompt avec les habitudes de débuter en voyant les personnages du centric se réveiller, on démarre sur un zoom de Jal avant qu’elle ne joue de la clarinette. Pourtant cela a beaucoup de sens : en un mot, Jal ne se « réveille » que lorsqu’elle joue. A tous les autres moments, Jal est endormie. Et c’est bien caractériser cette fille, douée, raisonnable mais introvertie.

En effet, Jal n’ose pas se montrer aux autres ; elle se sent inadaptée et incomprise. Ce trouble va se manifester lors de la première scène. Tous les autres musiciens, y compris ce jeune idiot lubrique qui drague les filles du fond au lieu de taper dans les cymables, jouent n’importe comment, ce qui a le don d’énerver leur prof, excepté Jal, qui elle, joue merveilleusement bien et avec calme. C’est un beau raccourci : Jal, dans ce monde bordélique où tout le monde fait n’importe quoi, continue envers et contre tout à faire ce qui doit être fait, pour que les choses soient harmonieuses d’une part (le chaos ou l’improvisation doivent probablement lui être extrêmement angoissant) et pour s’inscrire dans la droite lignée de certains principes auxquels elle croit dur comme fer.

Jal est une artiste non pas par désir de création et d’inventivité comme son père mais elle est artiste parce qu’elle aime les belles choses ordonnées et arrangées, une sorte d’idéal qu’elle sait pouvoir être atteint uniquement dans l’art et non dans la vie. C’est pour cela qu’elle préfère travailler dans un orchestre, suivre une partition et être dirigée. Son père, lui, est un rapeur, il invente en permanence, bouscule les codes et provoque la musique. Elle se situe donc à son opposée. Mais au lieu d’un clash, Jal va jouer le rôle de tampon. C’est le position qu’a choisie Jal : tempérer les choses. Lorsqu’on a la lucidité de constater que le monde va à veau l’eau, on s’engage et on tranche en faveur de la raison, quitte à en sacrifier ses propres désirs.

Car il ne faut pas croire, Jal a un fort caractère, voire même très fort, elle n’a pas sa langue dans sa poche, sauf qu’elle n’ose pas parler. Elle est très vite désapointée par la futilité ambiante, ce qui la blase.
Jal fait partie de ces gens, trop matures pour leur âge, trop intelligents, et manquant de fantaisie, ou plutôt d’envie de braver les interdits, sans doute parce qu’ils savent trop que cela est purement inutile. Etre trop intelligent est une véritable plaie : non seulement on ne se reconnaît pas auprès de son entourage, mais en plus, il est impossible de s’y intégrer. Car l’image qui est renvoyé est celle d’une personne austère. Comme le dit Michelle, la fashion victime : « tu fais tout le temps la gueule ».
Jal a beau faire preuve d’ironie, notamment lorsqu’un journaliste lui demande si elle est contente de jouer pour l’ochestre et qu'elle répond s'en foutre par monosyllabes, elle reste néammoins une fille qui semble s’ennuyer dans la vie, et donc peu engageante. Ce qui la dessert en réalité, alors qu’elle pense à la base être authentique, en combattant des valeurs qu’elle juge (le pire c’est qu’elle a entièrement raison) futiles.

Cela renvoie à un problème crucial : où se situe la vérité ? Notre propre personnalité est-elle infaillible et juste de bon droit ou est-ce l’avis des autres, de la majorité qui l’emporte ? Mais si la majorité a tord ou suit des principes qu’on sait futiles, doit-on se plier à la majorité ? La scène entre Jal et Michelle, archi-vue et revue entre deux copines où l’une veut habiller l’autre, est beaucoup plus engageante qu’il n’y paraît. Michelle veut que Jal change de fringues, pour être plus sexy, ou plus « bandante » comme elle dit, cela peut paraître superficiel de prime abord. Mais en y réfléchissant bien, n’est-ce pas Michelle qui a raison ? Quel avis qui compte ? celui de Jal, qui après tout, possède son propre corps et a le droit légitime de porter ce qui lui plait, quand bien même cela ne la met en valeur, ou alors sont-ce les garçons, ceux qui de par leur regard libineux vont porter un jugement sur son physique ? Car pourquoi se soucier de son apparence si ce n’est pour plaire ?
Ces questions a priori purement adolescentes et qui se tassent avec l’âge, sont tout de même révélatrices de pas mal de questionnements fondamentaux, qu’il ne faut pas négliger, notamment sur le rapport à autrui. Jean-Paul Sartre parlait des autres de la manière suivante : « si je manque une marche et manque tomber, je vais en rigoler, mais dès lors que je le fais devant témoin, je vais me couvrir de honte ». Ici, c’est pareil : la portée de nos actes tirent-elles leur source de nous, de nos valeurs, ou seulement de l’envie d’être remarqué ?

Pour Jal, c’est un problème épineux, puisqu’elle ne veut pas être remarquée justement. Selon elle, l’univers qu’elle côtoie ne correspond pas à ses envies : trop immature, trop gamin, trop superficiel. Le drame vient du fait que Jal se sent complètement incompatible avec son entourage.
A titre d’exemple, citons la scène cocasse et marrante dans la cabine d’essayage. Alors qu’elle cherche une robe de soirée pour son spectacle de musique, Jal fait appel à Sid pour l’aider avec les fermetures Eclair. Le pauvre, timide et maladroit, ne sait pas comment gérer la chose, et Jal lui parle comme s’il s’agissait d’une bouteille de lait à déboucher. Ce n’est pas Sid qui passe pour un être asexué ici, mais Jal qui se voit comme non-attirante et qui ne voit aucun problème à ce qu’un garçon vienne la voir en soutif.
A aucun moment Jal ne se considère comme une fille qui pourrait attirer éventuellement les garçons : parce qu’elle est au-delà de ça, ou au contraire en dessous. Elle a du mal à se situer. Les garçons pour elle ne sont que de gros pervers, en résumé, inintéressant et qui ne pourrait pas la stimuler intellectuellement. Mais ce procédé de sélection est aussi un moyen d’être tranquille.
La clarinette est un refuge : comme le dit Sid maladroitement, elle compense. Mais pas que son appétit sexuel et la fait qu’elle soit toujours vierge, juste son inadaptation au monde adolescent. Et elle le fait au travers la musique. Où là, et uniquement là, elle a l’impression d’être comprise et remarquée.

La première partie de l’épisode s’oriente vers des désillusions diverses. Toutes vont appuyer le sentiment profond de Jal que le monde n’est qu’un tissu d’hypocrisie, de mauvaise foi, quand ce n’est pas de la bêtise pure. Que ce soit son école, où sa directrice lui demande de rappeler les efforts consenties envers sa minorité noire « fragilisée » (alors que Jal vient d’une famille aisée), les clichés envers les black, ses frères, abrutis finis désireux de briller dans le rap, son père, célèbre producteur de R’n’B et sa pouf blanche, Michelle qui passe son temps à rouler des pelles à son copain sans se soucier d’elle, Tony qui trompe Michelle avec la première garce venue, Sid fou de Michelle, alors que c’est une fille superficielle qui craque pour tous les premiers beaux gosses venus, quand bien même ce sont des salopards (notez que c’est dans cet épisode que l’on se rend compte pour la toute première fois que Tony est un salopard, chose qu’on soupçonnait à peine lors de son centric à lui), tous les éléments ajoutent du poids en faveur de la vision bien sombre et désabusée de Jal. Il n’y a rien qu’à voir les yeux blasées ou ses soupirs devant ces piètres scènes. Notamment lorsque Michelle l’abandonne pour se faire « défoncer », comme le lui promet Tony, alors qu’elle lui avait promis une après-midi entre copines. Ou encore lorsqu’elle se décide de céder à Michelle, et qu’elle met une robe à décolleté et qu’elle remarque alors que tous ces amis, même Maxxie, sensé être homo, se mettent à la reluquer. Tous ces principes basés sur le physique et l’apparence la rebutent complètement. Elle ne comprend pas.

Le paroxysme de cette situation est atteint lorsque elle et Sid se font agresser par Mad le Barge. On peut regretter l’intrusion de personnage loufoque et peu crédible dans l’épisode, de par son côté trop grotesque, mais en plus de permettre de se débarrasser de ce scénario extravagant et perçu comme un boulet pour le développement futur de la série, cela permet tout de même de symboliser en image la frustration de Jal. Alors qu’elle croyait s’être faite remarquée par un type, voilà que sa précieuse clarinette est détruite par un pauvre fou, pour une raison absurde. Et si Jal pleure ensuite dans sa chambre, ce n’est pas tant pour avoir perdu sa clarinette mais parce que sa disparition entraîne une victoire de la folie sur son monde si rangé. Mine de rien, la clarinette, et par extension la musique, était le dernier rempart où elle pouvait être prémunie.

Par la suite, Skins va devenir optimiste et infléchir les événements dans le bon sens. On peut le regretter, en ce sens qu’on se dirige vers une sorte de happy end bancale, mais heureusement la suite de la série démontrera le contraire. C’est beaucoup plus ambigu que ça, et l’adaptation à la vie adulte ne mène pas forcément à de bonnes choses, pour Jal comme pour les autres.

La deuxième partie va la faire réfléchir : ses frères qui se sacrifient, son père qui devient aimant, trait de caractère qu’elle surprend lorsqu’il prend la peine de téléphoner à ses fils puis qu’il se met à improviser un flow de toute beauté, le cadeau qu’il lui fait en lui offrant une nouvelle clarinette etc…
Face à ça, Jal va se libérer, elle qui se réfrénait auparavant de peur de marquer son décalage davantage, devenir plus mordante et dire enfin ce qu’elle ressent, notamment qu’elle n’est pas sa mère. Cet affrontement est assez saisissant, notamment par le désappointement du père, devant sa fille qui commet son tout premier acte de rébellion (« tu te laisses aller, tu te sabordes depuis qu’elle est partie »), premier acte adulte en réalité. Une fois ce poids libéré, elle va enfin pouvoir souffler, souffler dans la clarinette en l’occurrence. C’est donc avec une parfaite logique qu’on retrouve Jal à la fin de l’épisode dans sa robe de soirée, devant une salle pleine, prête à jouer.
Sans savoir pourtant ce qui va lui advenir, puisque l’épisode s’arrête brutalement, magnifiquement d’ailleurs, sur une prise de respiration, procédé de coupe absolument remarquable. Car l’important dans Skins n’est pas de savoir l’aboutissement d’une évolution mais l’évolution elle-même et les embûches qu’elle comprend.

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