samedi 5 septembre 2009

Episode 102



Cassie

Bienvenue dans le monde barge de Cassie !

Cassie est une fille perturbée, extrêmement attachante, qui voit le monde avec des yeux noisette écarquillés mais qui ne voit pas tout à fait ce que nous on voit. Cassie est enjouée, rêveuse, cajoleuse, délirante, sans réussir à cacher qu’elle est détraquée de l’intérieur. Le problème de Cassie, c’est qu’elle déteste pas mal de choses. Ce n’est pas de la rage, bien au contraire, ça ressemble plus à de l’angoisse. Autour d’elle ça ne ressemble en rien à ce qu’il y a dans sa tête : pour elle, la vie est rose, alors qu’en vrai, c’est loin d’être ça, et ça la perturbe. Elle comprend peu de choses, notamment ses parents, totalement hédoniste, bon vivant, passant leur temps à boire, se goinfrer et faire l’amour, dans un esprit égoïste et devant leur bébé, pour Cassie, ce n’est pas le modèle idéal Barbie/Ken qu’elle s’est fabriquée. Pour elle, tout va de travers, il faut de l’ordre. Cassie a des tocs, un bon nombre de tocs, il faut que tout soit classé, rangé et ordonné.

Et surtout Cassie refuse de grandir. Elle est donc anorexique. Car, même si on n’en parle pas dans la série, les effets sur les hormones coupent la puberté. Mais il n’y a pas de jugement moralisateur ici, c’est avec une grande pudeur que Skins aborde ce sujet, sans faire de tabou là-dessus au contraire. Il y a dans cet épisode, une scène absolument époustouflante, où le rideau tombe et Cassie, devant le fait accompli, explique à Sid comment elle réussit à jouer la comédie. Couper la nourriture en petit morceaux continuellement, lancer la conversation, faire goûter à l’autre, se resservir pour cacher la viande par-dessous, changer de sujet au moment de porter la fourchette à la bouche, répéter que c’est trop bon puis prétexter une chose urgente à faire, mettre deux assiettes dont l’une vide par-dessus l’autre et hop, le tour est joué. Skins ne dénonce pas, il montre avec justesse.

Et l’intérêt est porté non pas sur la maladie en elle-même, mais la façon dont Cassie se débrouille avec sa maladie. Ce qui est beaucoup plus subtil. C’est d’ailleurs avec cet épisode que Skins dévoile pour la première fois sa profondeur. Et son envie d’aborder des sujets tendus, toujours sur la corde raide en matière d’émotions.
Il est juste regrettable, pour des besoins scénaristiques, de revenir au scénario grotesque concernant Sid et son dealer, quand bien même on a le droit à certains moments rigolos. Mais la série a besoin, au début, pour se lancer, d’un prétexte pour mettre dans le bain ses personnages. Une fois cela fait et réglé au bout de trois épisodes, on passe aux choses sérieuses.

Pourtant, intercalés, on a le droit à des centrages sur Cassie, absolument superbes, démontrant que la série a d’autres ambitions, bien plus complexes. Balançant entre moments étranges, moments contemplatifs ou voire carrément des moments de malaise, les passages sur Cassie ne laissent en tout cas jamais indifférent. Tant cette fille est différente de toute façon.
On ne peut s’empêcher d’avoir de la tendresse pour elle. Elle sourit tout le temps, elle a une façon de dire « waouh » et de s’extasier pour la moindre petite chose, elle semble réfléchir longtemps lorsqu’on lui dit un truc, elle s’imagine des choses qui n’existent pas, toute cette façade n’est là que pour dissimuler un profond chagrin. Car nous ne sommes pas dupes, Cassie n’est pas bien, mais elle sait, elle a appris qu’il fallait mentir, faire semblant que tout va bien, alors pour Cassie tout est génial, tout est super, et tout est merveilleux, alors qu’en réalité, ce n’est même pas sûr qu’elle ait tout saisi correctement.

Pourtant Cassie a envie d’être indépendante. De pouvoir se débrouiller tout seule dans ce monde adulte qui lui tend les bras, et dont elle se rend compte que ses amis se débrouillent comme des poissons dans l’eau. Elle a envie d’être comme eux, surtout comme Sid, qui lui plait bien parce qu’il est gentil et honnête. Mais pour cela il faudra affronter le désordre et Cassie n’est pas suffisamment prête. Seulement elle a du mal à se l’avouer.
Alors elle va mentir. La scène avec ses parents est criante de vérité : elle s’exclame à tord et à travers qu’elle va sortir de l’hôpital, que ses ennuis avec la nourriture sont enfin réglés, c’est l’éclate, alors que l’on sait très bien que tout ça c’est du barratin.
Preuve en est : elle se fourre des poids dans la culotte pour passer la barre des cinq cent grammes pris et quitter son programme hospitalier. Cassie ne veut plus être dans l’institut, elle veut être une lycéenne comme les autres, alors elle triche. L’épisode dans l’hôpital, qu’on comprend asile (selon la vieille école anglaise) est l’occasion d’ailleurs de plonger dans l’univers étrange du monde psychotique chez les jeunes. En particuliers avec cette scène comico-tragique de la fille qui boit deux litres d’eau d’un coup pour s’alourdir et qui manque se faire dessus.

Le problème de Cassie, c’est son irrésistible envie de vivre normalement, de découvrir des choses et surtout d’être amoureuse, de « croquer » la vie à pleine dent en somme, qui va se heurter violemment à son angoisse existentiel. Cassie va d’ailleurs passer énormément de temps à observer les gens. On comprend d’ailleurs mieux pourquoi les (incroyables) dix premières minutes de l’épisode seront passés à voir Cassie déambuler silencieusement dans les chambres pour regarder les autres dormir. Au lendemain d’une fête qu’on devine énorme, mais dont on ne verra que les stigmates (rideau de pâtes froides, boulettes de viande sur les murs, casseroles remplis de nourritures dégueulasses, gluantes et refroidies, bouteilles d’alcool de partout etc…), Cassie se réveille et découvre petit à petit l’étendu des dégats. La façon dont elle prend le temps d’identifier ses amis encore en train de dormir, de les admirer parfois, de regarder éberluée les débris et le bordel monstre (c’est littéralement impressionnant) dans la maison, on sent bien qu’elle est complètement détachée. Cassie est là sans être là. Cela se devine d’ailleurs très bien lorsqu’elle a une conversation avec les gens : elle esquive, elle répond des banalités, elle se contente d’afficher un visage béat pour que personne ne se doute de rien. En passant, le personnage de Cassie est admirablement joué par Hannah Murray. Pour résumer donc, Cassie en fait préfère sa bulle et elle en sort que très rarement. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’à un moment, on la voit comme flotter dans le couloir de son lycée.

Parfois les discordances avec la réalité sont brutales, comme lorsqu’elle s’invente une romance avec Sid. Lui qui s’est montré précautionneux avec elle, en s’inquiétant qu’elle ne mange pas, va devenir son prince charmant. Elle va s’imaginer recevoir des texto de sa part. Sa schizophrénie la pousse même à repousser ses avances. Qu’il n’a jamais formulé du reste ! C’est là qu’on devine l’étendu du problème. Car Cassie vit dans une bulle mais elle y est enfermée. Elle touche les gens, elle voit les gens, elle les entend même mais elle ne peut pas avoir de contact. Les seuls contacts qu’elle peut avoir, c’est avec les bébés. Son petit frère lui servira de quasiment seul refuge empathique. Elle le cajolera et le bercera. Car un bébé, cela reste innocent. Et Cassie ne peut traiter qu’avec les gens innocents. Les gens asexués en somme. Pendant qu’elle bercera son petit frère, on entendra ses parents s’envoyer en l’air, situation cocasse puisqu’on sent bien le problème de sexualité de Cassie, alors que pourtant c’est en faisant l’amour qu’on fait des bébés : paradoxe source d’angoisse.
Ce n’est pas pour rien si à un moment l’on voit Cassie derrière une fenêtre, reluquer Sid et lui parler en espérant la télépathie. Cassie ne sait réellement parler que dans sa tête. Alors elle fantasme une histoire d’amour avec Sid. C’est que Cassie, à la base, est une grande sensible.

Sa façon d’appréhender le monde n’est pas si simple que ça. Car derrière sa façade et ses mensonges devant la société, il y a aussi la volonté d’y prendre part et de faire ce qu’on attend d’elle. L’accompagnant dans la vie de tous les jours, il y a des post-it, où est écrit un simple mot : « Eat ! ». C’est le seul moyen pour elle de se forcer. Et cela est dingue car il n’y a rien de plus évident et vital que manger. Rien de plus humain, en fait. On la voit d’ailleurs passer un moment à espionner ses parents donner la compote au bébé. Mais manger, pour Cassie, devient un tel problème, qu’elle l’occulte au point d’oublier de manger !
Toute la distance entre le monde réel et la bulle de Cassie est symbolisé dans ce post-it, qu’elle ressort d’ailleurs dans le bus. En rentrant de chez Michelle, où ils avaient fait la fête la veille, Cassie rentre en contact avec le monde extérieur : des lycéennes se goinfrant de gâteaux, un enfant de deux ans avec un biscuit dans les mains, et au milieu, Cassie complètement hagard, avec personne pour la protéger, et on la sent fragile, très fragile. Du reste, cette scène est très bien filmé, avec cette lumière nacrée qui passe au travers les vitres du bus, cette impression de floue et de décrochage, la musique douce et ambient (c’est à partir de là que la BO de la série va s’étoffer petit à petit et prendre de la place) et cette impression contemplative, qu’on rapprocherait aisément des films de Sofia Coppolla (on pense bien sûr à Virgin Suicides).

Mais le monde réel est trop violent. Et c’en est trop pour Cassie. Notamment lorsqu’elle apprend qu’elle a inventé tous les textos de Sid ; elle s’enfuit alors du lycée, manque défaillir et rentre précipitamment chez elle. On voit bien qu’elle veut s’en sortir, mais ne sait pas par quel bout s’y prendre, alors elle fonce dans sa chambre et se précipite d’abord sur sa collection impressionnante de plaquettes de chocolat cachée sous son lit, avant de se raviser.
Elle décide alors d’aller dans un burger où la rejoint son ami, le chauffeur de taxi qui l’amenait à l’institut, pour être encouragée.
Cette scène finale où elle est encapuchonnée, comme pour pas qu’on la voit parce qu’elle a honte d’elle, et où elle se force à avaler la première bouchée, est absolument poignante et très forte. Rien qu’à ses hésitations, sa façon maladroite de détourner la conversation, le regard compatissant du chauffeur de taxi, le fait qu’elle comprenne qu’en réalité, les textos c’était elle dans sa tête qui se les envoyaient, ses yeux braquées sur le burger comme si c’était quelque chose d’insurmontable, tout ça prouve à quel point, cette fille lutte. Cette scène banale d’une ado qui mange devient alors une prouesse et un acte marquant.

Première étape d’un long parcours pour la petite Cassie, la petite délurée, qui est loin, très loin, d’en avoir fini. Car Skins n’a fait là que jeter les bases…

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