mardi 28 juin 2011

Episode 204


Michelle


A la 40° minute, la série connait un moment de grâce. Précisément lorsque Michelle retrouve Sid en larme et qui lui dit alors : « je me sens si seul », qu’elle répond « je sais, je sais », avant qu’elle ne se jette dans ses bras l’embrasser, geste qu’on attendait depuis si longtemps, câlin qui tout à coup résout tout et semble faire disparaître les failles pour sublimer l’évidence. Probablement une des meilleures scènes de la série. En tout cas une de celle qu’on avait toujours espérée (par naïveté, parce qu’on s’identifie à Sid, parce qu’on croit encore aux contes de fée) et qui survient subitement, sans prévenir, de manière totalement naturelle. Ce qui constitue le pic d’un épisode superbe, amusant mais aussi mélancolique. Ce qui se superpose d’ailleurs à la bande son, encore une fois géniale (avec entre autres Arcade Fire, Gravenhurst, Battles, Pavement, Electrelane, Beach House, XTC, The Stranglers, Sigur Ros, excusez du peu !).

La construction de l’épisode est telle tout va tendre vers ce moment magique. Et faire ainsi un joli parallèle avec l’évolution qui accompagne l’adolescence. Vécue comme une traversée mais en réalité une pause, l’adolescence est avant tout une permutation entre l’enfance et l’avenir. Pas étonnant que durant l’épisode on alterne si souvent escapade (en courant, en voiture, à la nage) et pause statique (debout, assis, couché). Pour Michelle, tout l’enjeu sera de progressivement délaisser une part de jeunesse et d’entrer de plein pied dans le monde des adultes.
Car les choses sont loin d’être évidentes. L’abandon est trop déchirant, il n’y avait pas à se poser de questions, l’innocence prévalait encore, ne subsistait que le délire, puis il y a eu ce bus, qui a subitement balayé Tony comme tant d’autres certitudes. Alors Michelle va tenter un geste désespéré : renouer le contact avec l’enfance. Du moins avec le monde d’avant. Celui où elle ne faisait qu’un avec Tony, ne pensait à rien d’autre que « son petit top rouge sexy », faisait l’amour toute la journée, fumait de l’herbe et se bidonnait avec les amis. Et ce monde fun, c’est Tony. Il faut qu’elle le retrouve.
Pourtant, Anthea, la mère de Tony, qui en sait un rayon sur ce que c’est qu’être adulte, la met en garde : « je ne te laisserai pas tout foutre en l’air parce que tu ne sais pas ce que tu veux ». Ce reproche peut tout autant être adressé par Anthea comme par Michelle envers elle-même !

Mais une fois avec Tony, le charme n’agit plus, ils se tournent le dos sur le lit, ne se parle plus ou alors pour dire des banalités : Michelle n’a guère de choses à dire à sa propre enfance, elle a grandit. Dans ce dialogue surréaliste entre Michelle, la grande, et Michelle, la petite, il n’y a de place que pour les quiproquos. Désireuse de savoir si l’enfance apporte quelque chose d’essentiel, les paroles de la chanson paillarde de Tony ne valent guère le coup, ce qui d’abord amuse Michelle, puis la déçoit terriblement. Ce qui l’amusait autrefois ne l’amuse plus. Et c’est un terrible drame. Tout d’abord parce que on s’aperçoit cruellement que Tony est affecté par son accident. Et que Tony ne redeviendra plus jamais l’être brillant qu’il était avant. Ensuite parce que cela signifie aussi que Michelle a coupé le cordon, qu’elle semble plus mature et donc plus lointaine avec ce qui se rapporte aux gamineries. Elle tente alors le tout pour le tout. Elle se déshabille devant un pauvre Tony, médusé. Il est loin le temps où il jouait les séducteurs. Depuis son accident, il ressemble à un empoté et il est très gêné devant les poses lascives et la cambrure de Michelle. La barrière est trop haute. « Qu’est-ce qu’on va faire ? » demande Michelle à sa propre enfance, son propre passé, son monde qu’elle croyait éternel. Abandonner se révèle trop difficile car il n’y a aucune promesse derrière, aucune garantie, aucune sureté. L’adolescence est un passage obligé qui se gorge d’angoisse. Avant, l’angoisse n’existait pas.
Seulement c’est trop tard, c’est passé, on ne peut plus revenir en arrière, et lorsque Michelle tente de réveiller les souvenirs avec la main sous le slip, rien ne se lève. Et la faute revient au bus, toujours ce bus, ce maudit briseur d’enfance. L’instant était sensé être magique, il se révèle pitoyable et désastreux. Devant cet état de fait, s’en est trop pour Michelle qui craque et qui se venge sur son propre passé, auquel elle ne peut plus accéder. « C’était tellement fort entre nous et c’est foutu pour toujours ». Le couperet de la fatalité tombe. Le monde de l’enfance est certes merveilleux mais ça ne dure qu’un temps, qu’il faut laisser derrière soit, et tant pis pour les ratés, les erreurs et les regrets. L’adolescence c’est aussi ça, reconnaitre que quelque fois, c’est pour toujours. Car il n’y a pas de seconde chance. Elle en giflera Tony, le traitant d’idiot, faisant l’improbable procès du hasard. Heureusement, Anthea intervient, elle qui représente donc le monde des adultes, pour couper court : « désolé, je ne voulais pas » s’excusera Michelle, « mais tu l’as fait » annoncera l’adulte, donnant ainsi sa première leçon de responsabilité, elle qui voulait justement y échapper. L’issue sera alors de s’en aller, de quitter la maison, d’abandonner son enfance.

Pour aller où ? Le monde des adultes ? Sera-t-il si réjouissant que ça ? Car pour Michelle, il sera abject, sans aucune saveur, dénué de chaleur, à l’image de cette nouvelle maison acquise par sa mère. Le déménagement sera l’occasion d’additionner les situations comiques et de soulever un irrésistible cynisme, le tout avec beaucoup de douceur et de tendresse entre la mère et la fille. On découvre alors, en même temps que Michelle, une nouvelle maison. Dont l’exploration ressemblera finalement à celle du monde tel qu’il est pour les adultes. Un agencement de pièces « minimalistes, fonctionnels, modernes », qui au final ne dégage que de l’insipide. Froide, robotisée, apersonnelle, cette maison aux volets qui s’ouvrent sur commande et aux lampes qui s’allument à la voix, représente la promesse faite à Michelle : un avenir fonctionnel et pratique où les émotions et le plaisir n’ont plus leur place.
Michelle apprend également la nature réelle des adultes, ces anciens modèles qui tombent le masque et deviennent des caricatures de stupidités, entre sa mère qui abandonne ses principes pour se rapprocher de son nouveau mari, à peine rencontré il y a deux mois, et qui feint adorer les sushis et le new-age, quitte à se renier complètement, et ce fameux beau-père, imbus de lui-même, ringard et aux priorités vide de sens. Les valeurs et la morale sont bafouées en permanence sous le regard désabusé de Michelle, toujours les mains dans les poches, spectatrices à son corps défendant, voilà que sa mère lui avait caché que son nouveau mari avait une fille, que cette même fille semble insupportable, qu’elle ne semble même pas choquée que son père lui pelotte ses fesses (scène incroyable !), et que même ses amis changent d’avis quant à leur venue à son anniversaire dès lors qu’ils apprennent que cette fille aux gros seins propose sa voiture pour faire du camping. Les repères explosent et les faux-semblants s’affichent. Rien de réjouissant à cela.
Lorsqu’il s’agira de se mettre tout nu dans le jacuzzi en compagnie de cette pétasse de belle-sœur et de son beau père libidineux et qui se font des mamours alors qu’ils sont père et fille, Michelle tournera les talons et reconnaîtra avec dégoût : « non, c’est trop ».

D’un autre côté, le monde de l’enfance est déjà loin pour Michelle. D’ailleurs sa mère a oublié de lui rapporter ses anciennes affaires lors du déménagement, jouets, peluches et vêtements, ce qui n’est pas si innocent, et il ne lui reste que quelques photos d’elle aux bras de Tony et Sid, pour se raccrocher à son passé. La virée en voiture jusqu’à la plage pour aller camper représente tout ce que l’enfance peut avoir de génial : pas d’obligations, pas de parents sur le dos, juste deux jours pour s’amuser, fumer et boire, bref, le pied ! Mais Michelle reste comme absente à ces distractions. Elle s’indigne de voir la voiture sens dessus dessous, rigole à peine aux blagues potaches et préfère regarder par la fenêtre. Elle ne se reconnait plus dans cette bêtise juvénile.
Lorsqu’arrivé à la plage, tout le monde se jette à l’eau en courant à poil, fille comme garçon, pour délirer, Michelle est la seule à rester sur place et à garder ses vêtements. Pourtant, elle n’a rien à cacher de son corps, mais elle devient subitement pudique. C’est que pour elle, son propre corps n’est plus l’objet innocent avec qui elle peut s’amuser, sans y prêter attention et sans penser à mal. Son corps revêt une nouvelle importance car il est en transformation. Le corps de Michelle a toujours été un problème pour elle : elle cherchait à le mettre en valeur comme à en cacher ses défauts (son fameux sein plus gros que l’autre). Désormais, son corps se couvre d’une autre valeur, non visible de l’extérieur, celui de la procréation. La question ne sera jamais abordée durant cette épisode, de près comme de loin, mais on sent bien que la maternité préoccupe désormais Michelle. Elle cherche à se doter de cette nouvelle perspective, à laquelle elle n’avait jamais songé durant son enfance, et cela lui fait particulièrement peur. Lorsque dans la nouvelle maison de sa mère, elle se déshabille, croyant les stores baissés, et découvre avec horreur que le jardinier, le maçon, le facteur la matent, elle se couvre immédiatement, adopte une posture effrayée et se démène pour fermer les stores par commande vocale, ce qui a pour effet hilarant d’allumer les spots lumineux ! Durant cette scène cocasse, elle crie : « à l’aide ! à l’aide ! ». Comme si être nue, exposer son nouveau corps de femme, fécond et attirant, devenait un danger. Michelle n’assume pas encore son statut. Car la réalité la rend angoissée : il y a tout un tas de préoccupations auxquelles elle n’avait jamais songées auparavant. Et qu’au lycée, une de ses profs sort son portable pour prévenir son amant qu’elle est en train d’ovuler, est très révélateur. Au-delà de la blague qui passerait quasiment inaperçu au cours de l’épisode, cette tirade comique devient en fait le nœud central : une femme est potentiellement une future mère. Et pour l’instant Michelle se refuse à cette perspective.
Tiraillée entre deux pôles, la jeune fille ne sait pas où se situer. Elle n’est plus la Michelle gamine gâtée (puisqu’elle n’est plus capable de susciter le désir ardent de Tony) mais n’est pas encore la femme qu’elle aspire à devenir. Son identité vacille, devient flou et imprécis. Il est marrant de constater d’ailleurs que tout au long de l’épisode, on se trompe de prénom, on lui invente des surnoms qu’elle n’a jamais eu, et que personne n’arrive à l’appeler véritablement Michelle, en entier, ce sera toujours : ‘Chelle, Mich’ ou Nibs. Comme s’il manquait toujours quelque chose.

L’acceptation finira malgré tout par arriver. Et c’est grâce à Sid.
Ce qui est le plus émouvant avec cette scène, c’est qu’au-delà de connecter deux personnes que tout oppose, finalement la logique s’applique. Au-delà des apparences et au-delà du superficiel, Michelle va retrouver le seul, finalement qui ne l’ai jamais aimée, d’un amour pur, de longue date et débarrassé de toute manipulation. Et non seulement son choix, qu’on a à peine le temps d’anticiper, nous réconforte, mais en plus il semble animé d’un désir d’aller de l’avant. Que Sid ait perdu son père depuis peu n’est pas innocent : il devient le seul de toute la troupe confronté à de vrais problèmes. Sa maturité, il ne l’a jamais réclamé, il l’a, c’est tout, et il comprend à quel point, malgré les amis, malgré le camping sauvage, malgré une fille aux gros seins qui lui propose de les « regarder de plus près », malgré la jeunesse, il s’isole et avoue se sentir seul. Alors avec Michelle, ils seront en phase. Elle lui dit pour seule réponse : « je sais, je sais ». En fait, elle ne le réconforte pas, elle ne lui dit pas que les choses vont s’arranger (puisque la mort du père de Sid se pare de son attribut irrévocable), mais elle reconnait qu’elle le comprend, et c’est là l’essentiel.
C’est donc sur la plage, la nuit, que Sid et Michelle passeront leur moment ensemble, un moment qu’on a tant désiré, par justice, parce que Sid a toujours été l’éternel looser et que d’habitude, jamais une fille comme Michelle ne lui accorderait le moindre regard, un moment authentique, qui dépasse la futilité, un moment qu’on n’a jamais cru voir venir.

Au réveil, le changement s’amorce, et au lieu des problèmes, Michelle va le vivre comme un nouvel espoir, à l’image du lever de soleil sur la plage, qui gratifie de ces scènes d’une beauté plastique irréprochable, magnifique et presque surnaturelle.
A ce titre, le cadeau de Tony est révélateur : une montre accompagné de ce mot : « Donne-moi du temps ». Au premier degré la note est ironique puisque visiblement Michelle a tiré un trait sur son histoire avec Tony, qui ne lui apporte plus rien. Mais au deuxième degré, cela peut être interprété comme un message pour elle-même. Comme si son avenir s’adressait à elle pour lui demander d’être patiente envers elle-même. C’est cela être adulte : gérer la notion de temps, son caractère inexorable comme précieux. La montre représente le monde adulte. Il va falloir pour elle faire face et appréhender les transformations inéluctables qui vont avec. Toutes choses ont une fin. Tandis que lorsqu’on est encore adolescent, on n’y pense pas, par exemple avec l’épisode de la marée haute, où Chris, Jal et les autres oublient la voiture, noyée par la montée des flots. Pour eux, les choses ne bougent pas et les vagues sont sensés toujours restées au même endroit que là où ils les ont laissées. La montre symbolise aussi autre chose : l'horloge interne chez la femme. La mécanique d'ovulation : comme quoi, on y revient !
Michelle va enfin assumer son corps : elle se baignera toute nue. Les cheveux mouillées, en arrière, sans les éternelles bouclettes et le maquillage disparu, on a quasiment du mal à reconnaître Michelle dans l’eau, la métamorphose est stupéfiante, physique et s’inscrit à l’écran : c’est une autre personne, c’est devenue une femme.
Et alors qu’on pensait, cruellement, en retournant voir Sid, qui dort encore, qu’elle se rendrait compte de sa bêtise, et que tout reviendrait comme avant, que Sid resterait à nouveau seul, lui qui aime Michelle depuis le tout début, Michelle reste avec lui, le cajole et le caresse, admirant le jour poindre derrière les vagues. La récompense, et elle le lui avouera en l’accompagnant jusque devant sa maison, c’est son premier orgasme. Pour la première fois, son corps lui offre le plaisir véritable. Et Sid se révèle un bien meilleur amant que Tony ne l’aura jamais été. Michelle paraît sereine, décidée, apaisée même. Elle a choisi Sid, au-delà des préjugés, au-delà même des blocages qu’elle pouvait avoir au début, et ils s’apprêtent alors à « faire l’amour, encore ! », comme le crie Sid à sa mère, heureux comme jamais, enfin autorisé à embrasser celle qu’il a aimé depuis l’enfance.

Seulement voilà, il n’y a pas de justice dans la série. Skins a le mérite de tordre le cou à toutes les idées qu'elle amorce. Et à peine a-t-on eu le temps de se réjouir pour Sid, que s’amorce la descente aux enfers, à suivre dans les épisodes suivant. Car dans la vraie vie, il y a toujours des imprévus. Et l’imprévu, ici, s’appelle Cassie. Elle est sur le lit lorsqu’ils s’embrassent, et dit : « Bonjour Sid, bonjour Michelle ».

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